Une petite vis se désolidarisa du pied de la chaise de bureau et le dossier s’affaissa brusquement. Anna se retînt au poste de contrôle pour ne pas tomber sur le sol poisseux de la station orbitale.
— Et merde !
Ses bottes magnétiques s’enclenchèrent quand elle se releva. Son casque posé sur ses oreilles crachait une musique électronique avec laquelle elle aimait s’assoupir. Dormir alors qu’elle était d’astreinte ? Si son caporal s’en apercevait, elle se ferait botter l’arrière train en rythme jusqu’à la prochaine planète. Mais elle ne craignait rien : il n’y avait pas un chat ni un pirate dans ce coin paumé de l’espace. Pour reprendre son expression : « Cet astéroïde est dans le trou du cul de l’Univers ».
Elle jeta un œil rapide au tableau de bord archaïque. Tous les voyants étaient au vert. Rien en rouge. Tout allait bien. Enfin…elle ne remarqua pas que la dernière diode était éteinte. Son regard se posa en priorité sur le frigo et elle prit un Nuka-Cola, dont la capsule voleta doucement en apesanteur vers le plafond. Comme tant d’autres.
Cinq années de classes dans l’armée Stellaire Terrienne pour finir ici, à mourir d’ennui. Anna fulminait tous les jours contre sa situation. Son parcours était un sans faute. Mais son zèle lui joua un mauvais tour : il avait suffit qu’elle se fasse prendre en flagrant délit, le sexe du Lieutenant Brigger en bouche pour que le capitaine la condamne à « Gober des mouches sur l’astéroïde NK-54 plutôt que des bites sur sa base ».
Elle ébouriffa ses cheveux bruns puis nota sur l’horloge digitale qu’il était l’heure de faire sa ronde. Anna attrapa son fusil d’assaut, vérifiant que la sécurité était enclenchée, puis ouvrit la porte. Sans surprise, le couloir était désert ; elle remarqua que les lumières crépitaient et que celles du générateur de secours s’allumaient par intermittence.
— Putain de matos…
Ce n’était pas la première fois. Tant pis, elle passerait y faire un tour pendant sa ronde. D’un pas nonchalant, elle s’enfonça dans le réseau de galeries s’infiltrant dans la structure même de l’astéroïde. Les portes de sécurité se succédèrent, hypnotiques, projetant sur les murs de la station ce petit bruit de validation à leur ouverture.
Et c’est là qu’elle le vit.
Cela n’avait duré qu’une seconde. Mais elle crût apercevoir nettement la silhouette d’un homme, entièrement nu, s’évanouir à la prochaine intersection. Ses réflexes guerriers reprirent le dessus et son corps lui administra un shoot d’adrénaline. Son arme se braqua dans la direction de l’individu. Se tassant sur ses cuisses, elle avança rapidement jusqu’au croisement, l’œil fixé sur le viseur. Le couloir plongé dans les lueurs rouges du générateur de secours était vide. Mais sur le sol, elle distingua dans la pénombre des traces de pas, humides, comme si une personne venait de marcher en sortant de la douche. La taille des empruntes était toutefois irrégulière. De sa botte magnétique elle effleura le liquide et Anna le trouva visqueux.
Le cœur de la jeune femme se mit à battre violemment. La tension raidissait ses membres et ses doigts se crispèrent autour des poignées de son arme. La sûreté retirée fit un petit bruit métallique. Anna se retrouvait à présent devant la grande porte palière du réacteur de la station. Seule. Elle n’avait aucune idée de ce qui l’attendait derrière… Son instinct lui intima de retourner au PC sécurité pour donner l’alerte. Mais si ce n’était qu’une hallucination ? Un individu isolé ? Si elle faisait déplacer une patrouille pour rien et que cela remontait aux oreilles du capitaine, elle pouvait dire adieu à sa carrière militaire.
Non. C’était une soldate. Elle était armée. Cet homme était seul, nu, elle arriverait à le maîtriser. Ses jambes tremblantes l’amenèrent devant le panneau de contrôle. Après de longues secondes d’hésitation, la carte d’accès glissa dans le lecteur et les vérins de la lourde portes actionnèrent l’ouverture vers la passerelle.
Le réacteur pulsait des rayons bleus, plongeant toute cette cathédrale dans une ambiance irréelle. Un doux vrombissement faisait vibrer l’uniforme d’Anna. Le ronronnement de cette merveille technologique, dont elle aimait particulièrement les respirations. Elle n’avait toutefois pas envie d’y penser, quand bien même ce souvenir venait de lui revenir en tête et l’empêcher de se concentrer sur le danger imminent qui devait l’attendre.
Elle regagna ses esprits en serrant son arme. Ses yeux s’arrêtèrent sur la silhouette d’un homme, au bord du précipice, en tenue d’Adam. Anna posa son doigt sur la gâchette.
— Identifiez-vous ! hurla t-elle à son attention.
L’individu ne répondit pas. Elle s’attarda sur son anatomie. Ses cheveux tiraient vers le blanc, tombants avec un lissé parfait jusqu’au bas de son dos. Il devait avoir une trentaine d’années. Ses iris bleus luminescents étaient hypnotiques. Son visage était dessiné par la main de Dieu, avec des traits splendides et équilibrés malgré une mâchoire légèrement carrée. Les yeux d’Anna eurent du mal à fuir ce regard magnétique et encore plus à ne pas se perdre en contemplation devant le reste du corps de cet Adonis. Son torse était luisant dans la lumière ambiante, ses hanches solides, encadrées par ses bras puissants, dévoilèrent un sexe masqué dressé vers elle dans la pénombre, comme une invitation.
— Anna, répondit l’inconnu, d’une voix grave et douce, qui résonna dans la tête de celle-ci plutôt que dans ses oreilles.
Un sursaut saisit la soldate qui pressa la gâchette. Une rafale de balles s’évanouit au dessus de l’homme qui ne bougea pas d’un pouce.
— Pourquoi ? demanda t-il, sans monter le ton.
— Je… balbutia Anna.
Sans en comprendre la cause, ses mains se mirent à trembler et son esprit s’enfonça dans la confusion. Comment connaissait-il son nom ? Et ce « pourquoi » la désarma pour de bon. Le temps semblait comme suspendu et c’est quand elle prit conscience de cette anomalie qu’une douce odeur sucrée parvînt à ses narines. Un arôme de fraises. Sans savoir pourquoi, elle versa une larme, de tristesse ou d’apaisement, ses sentiments étant trop confus pour y voir clair. Cette senteur lui évoqua immédiatement son enfance, la disparition de sa mère, la solitude qu’elle avait ressenti, son engagement dans l’armée, ses désillusions. Son besoin d’être aimée. Cette mélancolie l’inonda et elle lâcha une complainte, un long soupir comme si quelqu’un tenait son cœur et faisait vibrer chaque bon souvenir de son existence en le pressant à chaque battement. Cette sensation lui rappela l’effet d’une drogue, anesthésiant sa raison.
Ayant du mal à garder son esprit conscient, elle remarqua à peine que la passerelle semblait plus petite, le réacteur plus gros et l’homme…plus près. Ses jambes étaient tétanisées, toute fuite était impossible. Une part d’elle aspirait à courir aussi loin que possible, mais celle-ci abandonna face à ce désir qui la saisit progressivement, l’invitant à poursuivre la contemplation cet Être. De continuer à ressentir ces sensations. De s’en enivrer, encore et encore. De s’approcher. Sans même se rendre compte que ce n’était plus ses jambes qui la faisaient progresser.
Alors qu’elle avançait, sa vision se troubla et le vide sembla l’appeler. Son appel était irrésistible. La moitié de ses pieds mordait déjà le précipice. L’homme se colla à son dos, enlaçant ses poignets dans une douce prison. Elle pouvait presque sentir ce torse si désirable à travers son uniforme. Puis, enfin, il saisit ses chevilles. Sans qu’il ne lui libère les bras.
C’était impossible.
Son cerveau eût un électrochoc. Rien de tout cela n’était réel. Son regard s’affina et les brumes qui troublaient sa perception se dissipèrent un instant. Anna ouvrit sa bouche pour crier mais aucun son n’en sortit.
Devant elle, une immense créature la fixait de ses trois yeux jaunes. Ses contours étaient masqués dans la pénombre, vaguement dessinés par la lueur océan qui émanait du réacteur où cette chose était enroulée. D’infinies tentacules jaillissaient de nul part, dans cette masse impossible. Anna se rendit compte que quatre d’entre elles la saisissaient fermement aux chevilles et aux mains, la tirant en l’air sans que ses bottes anti-gravité ne soient d’un quelconque secours. La terreur ne dura qu’un instant : de nouveau l’odeur de fraise emplit sa conscience d’une extase quasi-mystique. Elle arrêta de lutter. Le visage de l’inconnu apparu dans sa tête et la tranquillisa pour de bon.
— Ne veux-tu pas vivre cela pour toujours ? murmura l’homme dans une voix éthérée.
L’esprit d’Anna avait perdu la raison. Sa peau était sensibilisée à l’extrême. La contrainte des tentacules sur ses membres l’excitèrent. Un millier de papillons voletèrent dans son bas ventre. Un nombre encore plus incertain d’émanations de cette chose vinrent caresser chaque centimètre de son corps avec sensualité. Cette abomination possédait une conscience. Elle eût le sentiment impossible qu’elle la connaissait depuis toujours. Anna sût alors qu’elle voulait s’offrir à Lui. Plus rien d’autre n’avait d’importance.
Ses souvenirs rejaillirent dans des flashs qui s’estompèrent aussi tôt, comme absorbés par l’engeance, afin de laisser place à une vacuité totale. Trônait dans son esprit vide la seule conscience de son corps, des sensations incroyables qu’elle ressentit quand sa peau fut mise à nue. Les tentacules étaient autant de langues caressant son épiderme jusqu’à l’entrée de sa bouche. Ses bras en croix et ses jambes écartées étaient suspendus au-dessus du vide. La créature l’enlaçait avec sensualité. L’un des appendices effleura son ventre et remonta entre ses seins, s’enroulant doucement autour. Les tétons d’Anna se durcirent encore plus quand l’immense poulpe les suçota. Elle lâcha un gémissement, tirant sa langue pour solliciter la tentacule qui parcourait son visage et ses lèvres. Suçant le bulbe arrondi qui lui donnait un début sans qu’elle ne conçoive même la fin, elle accueillit avec plaisir celui-ci dans sa bouche. Alors qu’elle s’activa à satisfaire cette extrémité, la jeune femme sentit quelque chose se frotter entre ses cuisses. Les premières caresses sur son sexe la transportèrent, son corps ondulant dans la gravité pour témoigner de son excitation. De son envie d’être prise.
Ses seins massés et honorés durcissaient d’autant plus vite que la tentacule qu’elle suçait se glissait progressivement dans sa gorge. Elle déglutit sans broncher, avec l’ardent besoin qu’Il s’insinue en elle sans se restreindre. Une supplique de plaisir accompagna la première pénétration entre ses cuisses. Il la remplit totalement, jusqu’au fond, puis fit vibrer ses tentacules de concert en exécutant des vas-et-viens. Les ventouses aspiraient son point G à la perfection. Anna tremblait, comme en transe, un plaisir immense pulsant à travers tout son corps. Elle ne lutta pas lorsqu’une tentacule s’infiltra entre ses fesses. Son petit anus étroit se dilata sous la pénétration trempée d’une des visiteuses qui avait pénétré son intimité auparavant. À chaque soubresaut et grouillement en elle, elle sentait que sa profondeur était explorée toujours un peu plus. Cette idée qu’Il la possède totalement la rendait folle. C’était sa seule obsession. Son plaisir immense ? Un délicieux remerciement. Le temps et l’espace semblaient avoir disparu autour d’elle, alors que son esprit s’élargissait au rythme de ses orifices pénétrés inlassablement par l’engeance. Elle ressentit une communion avec la créature, dont la conscience était ineffable, perlée de milliards d’autres facettes, comme autant de personnalités et de vies qu’elle avait absorbé à travers son existence. Tandis que les tentacules s’infiltraient en elle, s’emparant de chaque centimètre carré de son corps dans une danse délicieuse et une synchronisation parfaite, des millions de bras la serrèrent. Une infinité d’êtres la lovant contre eux, avec une tendresse absolue. Le plaisir s’en trouva démultiplié. Ses yeux étaient exorbités par les sensations extrêmes qu’elle ressentait. Anna faisait l’amour à cette chose — non — à l’Univers tout entier. Et il lui rendait à chaque instant, à chaque pénétration, poussant son corps jusqu’aux limites.
La dernière étincelle de sa conscience passée disparue sans regret. Elle accueillit sa fusion avec une passion infinie, un dévouement total, gémissant de plus belle alors que les tentacules vibraient, se gorgeaient de la jouissance de l’Être. Et là, elle sentit pleinement le plaisir de l’immensité se répandre en elle. Remplissant abondamment son vagin, son anus, sa bouche, l’abreuvant de sa semence, comme une ultime étape pour qu’ils soient liés à jamais.
Le temps sembla se compresser dans un éternel présent, son cœur exprima un sentiment de gratitude et d’amour profond. Et l’Être lui fit ressentir cette conscience absolue dont elle jouissait à présent.
Car elle était Lui.
Et désormais ils ne formaient plus qu’Un.